9
L’insouciance des fées
Les cinq Chevaliers d’Émeraude chevauchèrent ensemble en surveillant attentivement la côte. Rien en vue. Il semblait bien que les créatures ennemies étaient retournées sur leur propre continent. Mais elles avaient pu débarquer quelque part pendant la nuit. C’est en se rendant dans des royaumes différents qu’ils en auraient le cœur net. Chloé fut la première à briser les rangs. Ses compagnons lui recommandèrent la prudence et elle s’enfonça entre les rochers qui fusaient des galets comme des stalagmites géants, protégeant le Royaume des Fées des vents marins.
Les Chevaliers s’aventuraient pour la première fois à l’extérieur d’Émeraude. Ils avaient entendu parler des autres royaumes par le magicien Élund, mais Wellan était le seul qui avait pris la peine de lire tout ce qu’on avait écrit à leur sujet. Sa soif d’apprendre ne connaissait aucune limite. Tout l’intéressait et, comme lui, Chloé n’éprouvait pas l’insécurité de leurs frères devant l’inconnu. Au contraire, elle adorait mettre ses connaissances à l’épreuve devant une situation nouvelle.
Ce périple à travers le continent était certes dangereux, mais il ne manquait pas d’intérêt. Elle ne souhaitait pas arriver nez à nez avec les dragons qui se nourrissaient de cœurs humains, mais elle les affronterait volontiers pour sauver ses semblables, car la vie d’un Chevalier était remplie de ce genre d’épreuves. Elle l’avait toujours su et elle ne regrettait pas la décision de ses parents de la confier à Emeraude Ier. Elle aimait sa vie différente de celle des autres femmes et l’étroite amitié qu’elle partageait avec ses compagnons d’armes.
Elle chérissait tous les Chevaliers, mais elle nourrissait une affection toute particulière pour Wellan. Elle comprenait sa réserve et ses occasionnelles frustrations, car il n’était pas facile de se retrouver à la tête d’une élite semblable. Bien qu’il prétendît le contraire, elle savait qu’il regrettait parfois d’avoir cédé son droit de régner à son frère Stem, beaucoup plus fragile que lui, mais son rôle consistait à donner aux Chevaliers d’Emeraude une direction, un code de conduite. Même les jeunes élèves voulaient tous être à son image. Certes, Chloé comprenait son attitude parfois glaciale avec les autres, mais elle ne pouvait pas deviner ce qui se passait dans son cœur et elle ne savait pas toujours comment l’aider. Peut-être que la Reine Fan et lui étaient des âmes sœurs qui, tragiquement, n’avaient pu vivre leur destin. Élund leur avait raconté que, dans l’univers, pour chaque personne, il en existait une autre, unique, pouvant les combler et que les hommes qui parvenaient à trouver cette âme sœur étaient des bienheureux. « Voilà sans doute pourquoi Wellan éprouve autant de chagrin », pensa-t-elle. Il devait savoir, au fond de son âme, qu’aucune autre femme au monde ne pourrait le satisfaire.
Chloé, quant à elle, ne se sentait pas pressée de prendre un partenaire. Elle voulait continuer d’apprendre aux côtés de ses frères d’armes et entraîner un Ecuyer. Il lui importait peu de mettre des enfants au monde, surtout si elle ne pouvait passer beaucoup de temps avec eux. Le mariage s’avérait beaucoup plus facile pour ses compagnons, qui laisseraient leur progéniture aux bons soins de leurs épouses pendant qu’eux allaient se battre à l’autre bout du continent.
Mais elle ne regrettait pas d’être une femme dans un ordre de chevalerie qui comptait surtout des hommes. Elle savait qu’elle apportait à l’équipe un point de vue différent, une approche plus douce.
Elle chevaucha entre les labyrinthes de pics rocheux, attentive à ce que lui rapportaient tous ses sens. Les créatures maléfiques n’étaient pas venues ici et personne n’exerçait de guet. Il y avait trop longtemps qu’Enkidiev vivait dans la paix et ses habitants négligeaient les règles les plus élémentaires de sécurité.
La formation rocheuse se termina abruptement et Chloé se retrouva dans un immense champ de fleurs géantes. Elle arrêta son cheval et inspecta les alentours avec étonnement. Même les brins d’herbe de chaque côté d’elle atteignaient la taille d’une épée. Elle tendit la main et toucha les pétales d’une rose aussi grosse qu’un bouclier. Le parfum exquis qui s’en dégagea l’enivra. Par quel miracle avait-elle pu ignorer l’existence d’un endroit pareil ? Elle avança lentement, incapable de détacher ses yeux de toutes ces merveilles. Tout autour d’elle était gigantesque et vivement coloré. Était-ce ainsi que se défendaient les habitants du Royaume des Fées ? En émerveillant l’ennemi ? Cet endroit existait-il vraiment ou bien était-ce une illusion créée par ses habitants pour dérouter les voyageurs ?
Elle poursuivit sa route entre les fleurs qui se courbaient parfois au-dessus de sa tête comme des parasols et aboutit dans une grande forêt d’arbres encore plus étranges. Leurs troncs et leurs branches étaient faits de cristal à travers lequel on voyait circuler la sève. Chloé emprunta un sentier de sable blanc zigzaguant entre ces arbres qui captaient les rayons du soleil et l’aveuglaient. Elle entendit le murmure d’un ruisseau et se demanda s’il était tout aussi bizarre que le reste du paysage. Elle s’arrêta alors devant un pont arrondi qui traversait les eaux turquoise, si limpides qu’on pouvait y voir toute la vie qu’elles recelaient. Des poissons multicolores se pourchassaient entre des algues roses et violettes et des grenouilles lumineuses sautèrent dans les petites vagues à l’approche de son cheval. Quel monde curieux…
Chloé franchit le pont malgré les réticences de sa monture. Le vent était doux et effleurait sa peau comme une caresse. Tout en évoluant dans ce décor magnifique, elle se mit à penser aux ravages que pourraient faire les dragons et leurs maîtres sanguinaires s’ils venaient à s’arrêter à la hauteur de ce royaume. Le continent ne pouvait pas se permettre de perdre un tel joyau.
Soudain, elle arriva devant un profond vallon et vit un vol de hérons se déplaçant le long d’une large rivière. Mais où donc vivaient les Fées ? Elle regarda tout autour et ne vit aucun château, aucun village. Pourtant, le Roi Tilly et la Reine Calva gouvernaient ce royaume. À l’occasion d’un cours d’histoire du continent, elle avait entendu parler de ces jeunes monarques issus d’une longue lignée de personnages magiques. La seule Fée qu’elle connaissait, la petite Ariane, faisait partie du groupe des plus jeunes élèves d’Émeraude et n’avait rien de particulier sauf sa très grande timidité.
Chloé descendit la pente douce jusqu’au fond du vallon. Les animaux sortaient des fourrés les uns après les autres, sans aucune crainte apparente, et la regardaient passer. Il était évident que les Fées ne les avaient jamais chassés pour s’en nourrir, sinon ils auraient fui. Elle suivit la rivière Mardall où les poissons sautaient hors de l’eau en effectuant des vrilles et les hérons marchaient paresseusement au milieu des roseaux.
— On se croirait dans un rêve, murmura Chloé, observant avec émerveillement des centaines d’oiseaux aux couleurs éclatantes.
— Vous avez bien raison, fit une petite voix aiguë derrière elle.
Le Chevalier fit exécuter une brusque volte-face à son cheval en tirant son épée du fourreau, se préparant à combattre. Mais en apercevant la minuscule créature, elle rengaina son arme. Cette petite personne, parée d’innombrables voiles diaphanes qui frémissaient dans la brise, ne touchait pas le sol. Deux grandes ailes transparentes comme celles des libellules battaient rapidement l’air dans son dos, la maintenant en suspension. Il s’agissait d’une adolescente dont le visage très doux ressemblait à celui des poupées de porcelaine avec lesquelles jouaient les enfants. Ses longs cheveux blonds tombaient en une cascade de boucles jusqu’à sa taille et ses yeux bleus espiègles s’ouvraient de façon démesurée.
— Je suis le Chevalier Chloé d’Émeraude, se présenta-t-elle.
— Et moi, Altra. Soyez la bienvenue au Royaume des Fées, Chevalier.
— Pouvez-vous me conduire au Roi Tilly ?
— Bien sûr. Suivez-moi.
Et la jeune Fée se mit à décrire des arabesques aériennes avec la grâce d’un papillon. Elles parcoururent ainsi une grande distance et s’arrêtèrent au pied d’une colline couverte d’un tapis de fleurs.
— Nous y voilà ! annonça joyeusement Altra.
Mais il n’y avait ni habitations ni Fées dans cet endroit. Chloé se tourna en tous sens sur sa selle et fit appel à ses facultés aiguisées sans rencontrer une seule pensée consciente autour d’elle, ce qui sembla désoler son jeune guide.
— Donnez-leur le temps de vous faire confiance, lui conseilla-t-elle.
Les Fées se réfugiaient-elles dans les arbres ou dans des terriers comme les Elfes lorsqu’elles se sentaient menacées ? Si oui, pourquoi ne détectait-elle pas leur présence ? « Parce qu’elles sont magiques », se rappela Chloé. Elles avaient forcément la faculté de disparaître à volonté.
— Je suis venue vous parler au nom des Chevaliers d’Émeraude, annonça-t-elle alors à son auditoire invisible.
Elle perçut un léger frémissement autour d’elle, un peu comme l’air qui devient presque palpable à l’approche d’un orage, et des silhouettes commencèrent à se dessiner par centaines sous ses yeux, se solidifiant lentement. Un très bel homme ailé se matérialisa soudain devant elle, rendant le cheval très nerveux. Chloé caressa son encolure et le rassura d’un ton calme.
— Tu cherches le Roi Tilly ? lui demanda l’homme ailé d’une voix aussi douce que la brise.
Il était beaucoup plus grand que la Fée Altra et certainement plus âgé à en juger les traits marqués de son visage, mais il n’avait pas le physique d’un homme de guerre. Svelte et délicat, ses longs membres semblaient aussi fragiles que du verre. Ses cheveux presque transparents touchaient ses épaules et ses yeux dorés brillaient au soleil. Sa tunique bleue était, tout comme celle des autres Fées, composée d’une multitude de voiles superposés.
— Je le cherche au nom de mes compagnons, expliqua Chloé en se redressant sur sa selle.
C’était sa première intervention au nom de l’Ordre et elle en retirait une grande fierté. Un sourire aimable étira alors les lèvres de l’homme-Fée.
— Je suis le Roi Tilly, affirma-t-il, et voici mon royaume.
— Mais où est votre palais, Majesté ? s’étonna Chloé.
— Il est invisible aux yeux des humains.
« L’est-il également aux yeux des monstres qui viennent d’un autre continent ? » se demanda le Chevalier.
— Quelle est cette grande inquiétude que je lis en toi, Chevalier ? demanda le roi.
— Le Royaume de Shola a été détruit par une race de créatures maléfiques qui chevauchent des dragons, le renseigna tristement Chloé.
La nouvelle sema la consternation parmi les centaines de Fées qui voletaient derrière le roi et il dut intervenir pour faire cesser leur bourdonnement. Il posa ensuite les pieds sur le sol et referma ses grandes ailes transparentes. Debout, il était presque aussi grand que Wellan. S’il était inquiet, il n’en laissa rien paraître. Chloé mit pied à terre et tint fermement les rênes de son cheval, que la présence de tous ces êtres aux vêtements colorés rendait méfiant.
— Les Chevaliers d’Émeraude contactent en ce moment même tous les monarques établis sur la côte pour les prévenir du danger d’une invasion, poursuivit Chloé.
— Nous sommes vraiment désolés pour les Sholiens, assura l’homme-Fée en baissant les yeux.
Une jeune femme blonde se matérialisa alors aux côtés du roi et glissa une main dans la sienne, une larme roulant sur son visage de porcelaine.
— La Reine de Shola était une lointaine parente de mon épouse que voici, expliqua-t-il en serrant la main de Calva pour la réconforter.
— Je crains qu’elle n’ait péri, Majesté, déplora Chloé, mais sa fille est en sécurité au Royaume d’Émeraude.
— Ce n’est pas la première fois que cet ennemi tente de s’emparer du continent, déclara le roi en choisissant de ne pas parler de la princesse de Shola, une parente de Calva elle aussi. Il a échoué par le passé et il en sera de même aujourd’hui.
— Je me dois quand même d’insister pour que vous établissiez le plan de défense de votre merveilleux royaume, Majesté.
— Si nous allions discuter de tout cela chez moi, Chevalier ? fit Tilly qui lui parut soudain très las.
Chloé accepta l’invitation en s’inclinant respectueusement comme Élund le leur avait enseigné. Le roi lui recommanda de laisser son cheval dans la vallée, assurant que les Fées s’en occuperaient. Un Chevalier répugnait toujours à se séparer de sa monture, surtout dans un pays aussi étrange, mais que faire d’autre en pareille situation ? Chloé le laissa donc paître l’herbe grasse sur les berges de la rivière Mardall et suivit le roi en direction de la colline. Sans qu’elle comprît comment, elle se retrouva dans un hall aux dimensions démesurées et dont les murs transparents filtraient la lumière du jour, la réfléchissant en un kaléidoscope de couleurs. Elle pivota sur elle-même, captivée par cette pièce magnifique où une multitude de petites Fées battaient des ailes, formant un plafond mouvant.
On la conduisit à travers de nombreuses pièces désertes aux murs de verre et elle aboutit dans une immense salle à manger inondée de soleil, presque entièrement occupée par une longue table à l’intérieur de laquelle couraient des arcs-en-ciel lumineux. Chloé constata avec stupéfaction que la table flottait dans les airs.
— Il faut sans cesse la prendre en chasse, expliqua le roi. On ne sait jamais dans quelle pièce elle va se déplacer.
Curieuse, Chloé se pencha pour regarder sous le meuble et ne vit aucun socle qui aurait pu la retenir. La cour, composée de Fées aux robes pastel, se massa autour de la table, observant le comportement étrange de la femme humaine.
Le roi convia Chloé à prendre place et fit apparaître des mets de tous les coins du monde ainsi que des gobelets remplis de boissons variées. Elle s’assit prudemment sur la chaise, reposant elle aussi dans le vide et recouverte d’un volumineux coussin de velours bleu, en se demandant si tout ce qu’elle voyait était bien réel. L’étonnement devait se lire sur son visage car l’homme-Fée et sa cour échangèrent des sourires amusés.
— Tu es originaire du Royaume de Diamant, n’est-ce pas ? demanda le roi en posant son regard doré sur le jeune Chevalier.
— J’y suis née et j’y ai passé les premières années de ma vie, Majesté, répondit Chloé en se redressant, mais j’ai grandi au Royaume d’Emeraude.
Il matérialisa devant elle des mets particuliers à son pays d’enfance et l’encouragea à se restaurer pendant qu’ils discutaient des affaires du continent. L’arôme de la nourriture était pourtant bien réel. Chloé tira à elle une assiette de céramique dans laquelle fumaient de délicats feuilletés de légumes qu’on servait à la cour du Roi de Diamant. Une jolie fourchette dorée apparut soudainement entre ses doigts, lui arrachant un cri de surprise. Les Fées chuchotèrent entre elles, amusées, et Chloé se joignit à leur hilarité. Devant le regard insistant du Roi Tilly, elle prit une bouchée dont la saveur la replongea dans les premières années de sa vie. Elle entendit le rire de sa mère et sentit la douce caresse de la main de son père sur sa tête.
— Vous ne devez pas avoir beaucoup d’ennemis si vous les traitez tous aussi bien, déclara-t-elle en posant un regard stupéfait sur le roi.
La cour éclata de rire dans un bel ensemble. Seule la Reine Calva affichait toujours une expression de tristesse.
— Nous n’avons pas besoin de nous défendre contre qui que ce soit, expliqua le Roi Tilly dans un sourire. Le Royaume des Fées est invisible et notre essence ne peut être perçue par les autres créatures de l’univers que si nous le voulons bien. Nous sommes en sécurité chez nous.
— Mais votre belle vallée ne l’est pas, répliqua Chloé.
— C’est vrai, mais nous ne laissons personne y pénétrer lorsque nous nous sentons menacés. Nous déplaçons les rochers de façon à ce qu’ils forment une barrière infranchissable sur la côte.
— Est-ce ainsi que vous avez défendu votre royaume lors de la dernière attaque de ces monstres ignobles ?
— Je n’étais pas le Roi des Fées à l’époque, mais je sais que mon prédécesseur a soustrait ses terres à la convoitise de l’ennemi en usant de ses pouvoirs magiques.
— Vos pouvoirs sont-ils assez grands pour dissimuler tout Enkidiev à leurs yeux ? s’enquit Chloé avec curiosité.
— C’est un exploit au-dessus de mes forces. Toutefois, les Chevaliers d’Émeraude ne doivent pas craindre que mon royaume soit anéanti par cet envahisseur ou qu’il devienne sa voie d’accès aux Royaumes de Diamant et d’Emeraude. Je ne les laisserai pas passer.
— Ma mission consiste à vous inciter à la plus grande prudence, Majesté. Je vous en prie, postez des sentinelles sur la côte.
— Nous n’avons nul besoin de sentinelles, assura le roi. Nous pouvons ressentir quiconque s’approche de notre territoire.
— Avez-vous aussi le pouvoir de prévenir vos voisins du danger ?
— Ce serait bien inutile. Les Elfes ont également la faculté de ressentir la présence d’étrangers. Quant aux habitants du Royaume d’Argent, ils ne désirent pas entretenir de contacts avec nous.
Chloé savait que cette contrée avait été durement éprouvée par la disgrâce de Draka mais elle n’insista pas pour que les Fées leur tendent la main. Elle remercia l’homme-Fée pour ce délicieux repas et demanda à se retirer, car elle devait rentrer sans tarder au Royaume d’Emeraude, y rejoindre ses compagnons.
— Avant de partir, dis-moi comment progresse notre petite Ariane, la retint le Roi Tilly, le visage souriant.
S’il se souciait réellement du sort de sa plus jeune fille, il ne le montrait guère. Chloé lui expliqua que les Chevaliers ne partageaient aucune activité avec les élèves avant qu’ils deviennent Ecuyers. Mais elle était certaine que ses progrès étaient remarquables, sinon le magicien l’aurait déjà renvoyée chez elle.
— Si je puis me permettre, Altesse, une chose m’étonne…, commença Chloé, hésitante.
— Tu veux savoir pourquoi elle n’a pas d’ailes, s’amusa le roi. Eh bien, elles ne leur viennent qu’à l’adolescence, fort heureusement pour nous, les parents.
Ariane finirait donc par ressembler à tous ces magnifiques êtres libellules. Mais ses belles ailes ne risquaient-elles pas de nuire à son entraînement ? Un coup d’épée mal calculé aurait tôt fait de les abîmer.
— Si elle choisit de joindre les rangs des Chevaliers d’Emeraude pour le reste de son existence terrestre, nous les lui enlèverons, lui dit le roi avec un léger hochement de tête.
« Ces gens sont-ils seulement conscients, dans leur sérénité, de la douleur que les autres habitants du continent ressentent ? » se demanda Chloé. Elle se leva et salua respectueusement Tilly. Fuis, elle suivit une jeune Fée au pied d’un mur sans issue visible et, presque instantanément, elle se retrouva dans l’herbe haute, son cheval broutant à quelques pas d’elle. Il poussa un hennissement, surpris de la voir apparaître ainsi, et elle le rassura tout en jetant un coup d’œil au soleil pour s’orienter. En se dirigeant vers le sud-est, elle pourrait rentrer directement au Royaume d’Emeraude et y attendre les autres. Elle aurait préféré se rendre chez les Elfes et tenter de calmer Wellan, mais ses ordres étaient clairs et il serait furieux si elle lui désobéissait.
Elle mettait le pied à l’étrier et allait se hisser en selle lorsqu’une main se posa délicatement sur son épaule. Elle se retourna vivement, faisant sursauter la Reine Calva qui la regardait avec tristesse.
— Tilly est le roi, fit-elle d’une voix très douce. Il ne peut pas se permettre de montrer ses véritables sentiments à son peuple, mais il est aussi affligé que moi.
— Je suis un Chevalier, Majesté, je n’ai pas à juger les actes des rois.
— Votre ordre de chevalerie enseigne de bonnes valeurs. Vous me voyez heureuse que ma fille en fasse partie.
La reine hésita un moment avant d’aborder le sujet qui la tracassait.
— De quelle façon Fan est-elle morte ? demanda-t-elle finalement, les yeux remplis d’angoisse.
— Elle a été poignardée par ses agresseurs, de même que son époux. Quant aux habitants de Shola, ils ont été massacrés par des dragons qui leur ont arraché le cœur.
Calva cacha son beau visage dans ses mains et versa des larmes amères. Chloé posa aussitôt une main compatissante sur son épaule et l’implora silencieusement d’empêcher que de telles atrocités se produisent dans son royaume. Incapable de parler, la reine se dégagea doucement et disparut.
En remontant en selle, Chloé résolut de s’informer sur ce curieux pays dès son retour au Royaume d’Émeraude. Elle se dirigea vers le sud en souhaitant que ses compagnons aient récolté plus de succès dans leur démarche.